Nature et Culture
Un homme seul n’est pas un homme.Dès que l’enfant parait, le monde alentour met à sa disposition un climat affectif, un langage, des outils et une culture avec lesquels l’enfant va articuler ses capacités génétiques et neuropsychiques. Ce n’est qu’en interaction avec son milieu que le petit humain pourra enclencher, développer et exprimer ses capacités.
Sans milieu, l’individu ne peut même pas devenir un individu.Il suffit de voir ce que donnent les enfants sauvages. Leur équipement génétique semble intact et pourtant, ils marchent à quatre pattes, ils sont déformés et ne savent ni parler, ni communiquer, ni même regarder les autres.Lévi-Strauss pense que les enfants sauvages illustrent ce que donnerait la nature humaine s’il n’y avait pas de culture.Pour un éthologue, c’est mal poser le problème que de le poser en termes de disjonction entre la nature et la culture. L’un sans l’autre ne peuvent fonctionner.
L’enfant-loup ne représente pas ce que donnerait la nature avant la culture,puisque sa nature ne peut ni se développer ni s’exprimer s’il n’y a pas de culture.L’enfant sauvage n’est pas un enfant de la nature, puisque par nature, l’homme ne peut fonctionner que dans une culture. Cet être vivant possède, par nature,le cerveau le plus apte à créer la culture qui façonnera ce cerveau.Ce n’est pas l’homme qui existe, c’est l’humanité. Et si l’on disjoint les conceptions de nature et de culture,il faudra admettre aussi que la nature animale n’existe pas puisqu’une abeille, puisqu’un singe, puisqu’un être vivant, seul, ne peut pas vivre, s’il est génétiquement grégaire. […]L’être vivant ne peut se construire que par les interactions qu’il établit avec son milieu. Et l’humain, parmi les êtres vivants, est celui qui travaille le plus à structurer le milieu qui le structure.
Boris Cyrulnik,
Mémoire de singe et paroles d’homme (1983),
coll. «Pluriel », Hachette, 1997