Le Désir

Ne donnez pas le bonbon, dessinez-le !

Laissons l’enfant parler de ses désirs, justifions-les, même si nous les nions au nom de la réalité. En entrant en communication avec lui à propos de ce qu’il désire, on lui ouvre le monde : un monde de représentation, de langage, de vocabulaire et de promesses de plaisirs. Une fois qu’il a son bonbon ou pire son chewing-gum les parents ont peut-être la paix, mais l’enfant ne parle pas, n’observe rien, il est centré sur son tube digestif. Son désir est mis au niveau du besoin, puisque ses parents l’ont satisfait, sans doute parce qu’ils seraient angoissés de ne pas le faire. Résultat : cet enfant est obligé de chercher de nouveaux désirs, d’une façon incohérente, sans entrer dans le langage. L’enfant n’a pas besoin de bonbons. Il en demande un pour qu’on s’occupe de lui, qu’on lui parle. Si on lui dit : « Comment serait ce bonbon ? Rouge ?» on se met à parler du goût du bonbon rouge, du goût du bonbon vert ; on dessinera même un bonbon, et l’enfant aura complètement oublié qu’il voulait en manger un. Mais qu’elle bonne conversation autour des bonbons !

Parler les désirs, les représenter, partir des désirs pour entrer en communication avec les autres, par la parole et non dans le corps à corps, voilà ce qui fait la culture, la littérature, la sculpture, la musique, la peinture, le dessin, la danse : voilà ce qui fait fabriquer ce que l’on n’a pas obtenu, représenter le désir en inventant, en créant. Quand un enfant veut avoir un jouet qu’il n’a pas, il invente n’importe quoi pour le remplacer. Si on lui donne le jouet, il est rapidement cassé, il ne peut plus rien inventer et il faut lui en racheter un autre.

Ne pas satisfaire les désirs, cependant, ce n’est pas les nier. Devant les vitrines de jouets, par exemple, un enfant s’écriera « Ah ! je voudrais ce camion !» Beaucoup de mères (ou de pères) entraîneront alors l’enfant rapidement loin de la vitrine en disant : « On ne peut pas l’acheter ». Ils ne veulent pas qu’il soit tenté, alors que c’est cela vivre, mettre des mots sur ce qui nous tente : « Ce camion-là, tu trouves qu’il est bien? – Ah oui! ­Qu’est-ce qu’il a de bien? – Il a des roues rouges. – Est-ce qu’avec des roues rouges, il marche bien ? Un camion, il faut que cela roule. Entrons dans le magasin, tu vas le toucher, le regarder, mais aujourd’hui, je n’ai pas l’argent pour le payer. – Si, si, si ! – Je ne l’ai pas, c’est comme ça ! »

Quand l’enfant voit que la mère est décidée, il s’arrête. Il a été satisfait de communier avec elle dans le désir du camion. Et la non-satisfaction immédiate n’empêche pas d’espérer :

« Un jour, oui. À Noël, peut-être, ou ton anniversaire.. Mais c’est long ! – Regardons le calendrier… »

Françoise Dolto, extrait d’une conférence à L’École des parents, 1985.