Tout à fait par hasard, je découvre un inédit d’Alain, une compilation de ses chroniques dans un journal, publiées maintenant aux éditions des 1001 nuits. Et… ce n’est pas triste ! Alain s’en prend à toutes les fossilisations, toutes les petitesses, qui sont, on le voit bien, de tous les temps. Mais, dixit son éditeur, « Avec l’humour, c’est l’optimisme qui l’emporte. Alain garde à l’esprit la richesse que chaque génération d’enfants apporte et qu’aucune sottise ne saurait totalement anéantir.
Le Christ à l’école
Si j’étais instituteur, et si le maire de la commune venait faire sceller un Christ sur mon mur, j’essaierais de comprendre quel sens cet emblème pourrait avoir pour moi. Et, après réflexion, il me semble que j’arriverais à la conclusion suivante : « Evidemment, ce Monsieur veut que je parle du Christ à mes élèves, comme je parle des saisons, des métiers, des cultures et d’une foule de choses qui sont représentées sur les murs de mon école. »
Ayant alors compris le conseil muet de Monsieur le Maire, je rédigerais et j’accrocherais au dessous du Christ une pancarte, où les élèves pourraient lire : « Jésus, juif illustre à la fois comme révolutionnaire et comme moraliste ;puni de mort par les prêtres de son temps, parce qu’il enseignait que les rites et les offrandes ne pouvaient pas remplacer la vertu. »
Rien ne m’empêcherait d’ajouter à cette courte notice quelques bonnes maximes tirées de l’ Evangile, comme 3Aimez-vous les uns les autres » ; « Aimez vos ennemis » ; « Ne reconnaissez point de maîtres parmi vous » ; « Il est bien difficile qu’un riche entre dans le royaume de Dieu. » Après cela, j’inviterais M. Le Maire à venir entendre une leçon sur Jésus-Christ ; et certainement, il me ferait avoir les palmes.
Encouragé par ce premier succès, je me procurerais les portraits de quelques grands réformateurs, comme Confucius, Mahomet, Luther et Swedenborg ; j’y joindrais Socrate et Mart-Aurèle, et toutes ces maximes accrochées au mur feraient voir clairement que la doctrine du Christ est bien plus ancienne que le Christ et que, dans tous les temps, les hommes les plus sages l’ont professée.
Alors M. Le Maire ne pourrait plus contenir sa joie, et sûrement il m’inviterait à déjeuner.
En revanche, tout le matérialisme, antique ou actuel, est fondé sur la non-existence de ces « arrière-mondes ». Épicure démontera toutes ces croyances pour libérer ses concitoyens de leurs peurs et les inviter à vivre au mieux cette vie qui est la nôtre.
C’est pourtant dans un cadre laïc que nous tenterons de défendre la thèse de Spinoza et de nous ré-approprier, à l’aide de Feuerbach, de Joël de Rosnay et de Spinoza lui-même, notre appartenance à l’éternité ou du moins à l’histoire de l’humanité.
Alain, PN 234, in « L’instituteur et le sorbonagre », 50 propos sur l’école de la République, 14 octobre 1906.
Qu’en pensez-vous ?